Mortel Azur,
Françoise Lefèvre, Mazarine 1985
Tu me dis : je suis jaune. J’ai mal au côté. Je vais sûrement crever d’un
cancer du pancréas. Je te regarde. Je regarde notre vie. L’énorme malaise,
malgré le bonheur d’être ensemble. Comment les choses se minent-elles ?
Comment le sable s’enfuit-il sous nos pieds ? Je ne cesse de te regarder. Je
suis attachée à toi comme à un arbre. Comme à une pierre. Il n’y a pas un
coin sous le ciel où je puisse respirer normalement si tu ne t’y trouves pas
aussi. Pourtant, nous ne sommes pas heureux. Notre sève est morte. Nous restons
face à face comme deux gisants de lave. Nous avons la mémoire de feu, mais
nous sommes éteints l’un pour l’autre, sans doute à jamais. Incapables de
retrouver en nous la joie des amants. Nous partageons encore les paysages regardés
ensemble. Les enfants. Les plaisirs non négligeables des êtres en bonne santé.
Mais de notre désir nous portons le deuil. Je ne comprendrai jamais que les
choses finissent. Je suis comme une bête prise au piège, tombée au fond
d’une crevasse. Je sens le gel qui vient. Je lutte dans ce cristal glacé.
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