Les
larmes d’André Hardellet
Françoise Lefèvre, Le Rocher Septembre 1998
Ces quelques pages sont comme ces fleurs de myosotis que vous aimiez. Je les écris
pour qu’on se souvienne de vous. Depuis votre disparition votre œuvre a été
publiée en trois tomes. Ils sont sur ma table. Quelques livres aussi ont paru
sur vous. Votre vie, votre œuvre, votre correspondance. Enfin, tout ce qu’on
n’a plus à espérer quand on est mort. On dit que l’espoir fait vivre. Je
crois moi, que l’espoir toujours déçu vous use tant qu’il peut vous tuer.
Il eût mieux valu quelques marques d’intérêt de votre vivant. Mais vous
savez comme sont les gens. Il leur faut la mort pour les tirer de leur torpeur.
Le cadavre frais d’un auteur, ça peut donner quelques lignes dans les
journaux. Quelques rééditions de ses livres aussi. La mort produit toujours un
peu d’émotion, un peu d’articles, bla-bla-bla, un peu de ventes, un peu de
sous pour les éditeurs, les héritiers s’il y en a. Une sorte de chaîne
alimentaire, si j’ose dire. Tout le monde est content de célébrer l’auteur
disparu, d’apporter une petite pierre à sa postérité, de sentir se trémousser
d’aise sa bonne conscience. L’auteur est mort. Vive l’auteur !
Mais moi je vous ai vu pleurer. Dans ce café de la place Desnouettes, j’ai vu
couler les larmes d’André Hardellet. Je les ai essuyées ainsi qu’une
brusque sueur qui s’est mises à perler à vos tempes, marquant sans doute le
début de votre agonie. Je ne suis pas certaine d’avoir trouvé les mots de la
consolation. Je craignais un peu cet attachement que vous me manifestiez. Je
vous ai juste pris les mains. Je suis la dernière personne à vous avoir donné
des fleurs et un baiser. La dernière aussi à qui vous avez demandé de vous
accompagner pour une longue promenade que nous projetions de faire le lendemain,
au bois de Vincennes, sur les lieux de votre enfance. A la pensée de votre échappée
belle, votre visage s’est éclairé. Mais la nuit même, vous êtes parti en
solitaire pour une tout autre promenade et dans celle-là, je n’y suis pas.