L’Or des chambres,
Françoise Lefèvre, Jean-Jacques Pauvert Editeur, 1976

 Je ne bougeais pas. Je gardais les yeux grands ouverts au plafond. Je pensais qu’il y avait des semaines et des semaines qu’on ne s’était pris. J’avais envie de te tenir contre moi, comme on tient un autre être solitaire. Je voulais ton poids sur moi, dense, immobile. Tes bras en croix sur mes bras. Le caillou de ta tête sur ma poitrine. Toi, entier, glacé. Nous, entiers, glacés. L’enfer est glacé. Le sait-on ? Nous, entiers, glacés. Sans humide chaleur. Ni chair dressée. Glacés. Avant la folie. La tempête. Les larmes de joie. Les bouches enfin, brûlantes, brûlées. L’une à l’autre données. Les membres battus. Oh ! les membres battus. Et la plainte qui sourd enfin. Monte comme une marée, du ventre à la gorge. Comme on s’aidait à vivre !"
[…]
Que fut cette minute où je restai le front appuyé contre le carreau ?
L’heure était violette au dehors, fraîche, mouillée, crépusculaire, frémissante, je ne sais pourquoi, mais frémissante comme le vent léger dans le foulard de soie des vieilles dames qui parlaient en bas.
Cette minute je l’ai aimée comme on aime sa vie quand on sent qu’on va mourir.
Nos plus belles heures nous filent entre les doigts et les visages qui ressurgissent sont les visages que nous connûmes dans l’amour.
Que reste ma ferveur et que l’heure violette n’en finisse plus ! La rue est pleine de vieilles dames.
J’apprends à mourir.
Vieilles dames qui savez toutes choses et laissez dans votre sillage un parfum de chèvrefeuille, comment peut-on imaginer que vous ne vivrez pas encore cent ans ? De quelles étreintes vous souvenez-vous ? De quels enfants qui vous prirent le sein ? Et de vous, penchée sur eux, riant et les cheveux défaits, vous souvenez-vous ? Il faisait beau. On avait dressé la table dans le jardin. Le vin tiédissait dans les carafes. Les grillons se violentaient dans les herbes sèches de midi. A peine, les enfants se furent-ils sauvé leur dessert à la main, emportant presque dans leur élan la nappe blanche, que l’homme que vous aimiez vous entraîna dans la chambre. Là, était le lieu des siestes. Derrière les volets tirés, filtrait la lumière comme un bourdonnement d’abeille sur vos seins dénudés.
L’homme, le fou, le roi, le nouveau-né, celui qui vous tête, vous a mise nue. Vous, nourricière, terre de génie, comme sont les femmes amoureuses, aimées de celui qu’elles aiment, vous savez bien que vous êtes le temps et l’or de la chambre.
Femmes, qui animez votre ventre de cette vivante rondeur, consentantes, couchées sur le dos, ou parfois, agenouillées, vous savez bien que c’est la mort que vous engendrez.
L’homme qui fait la sieste entre vos cuisses se souvient de son berceau. Vous, grave et défaite, vous songez à ce temps qui vous est donné comme un peu d’or sous vos paupières.

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