En nous des choses tues
(atelier d’écriture au collège)
Françoise Lefèvre, Le Rocher Mai 2000
Je n’ai pas eu le temps d’évoquer Gaston Bachelard, par exemple, dans l’Eau
et les Rêves. Pourtant ils étaient capables d’entrer en résonance avec des
phrases comme celle-ci :
"La peine de l’eau est infinie.."
Ou encore :
"…la roulade du merle est un cristal qui tombe, une cascade qui meurt. Le merle
ne chante pas pour le ciel. Il chante pour une eau prochaine."
Les enfants de cet âge comprennent ces phrases-là, qui déclenchent chez la
plupart d’entre eux une écriture profonde et poétique. Comme si la poésie
pouvait vous contaminer.
Un peu plus tard, je suis arrivée avec un grand cabas contenant un bâton de
pluie, un bol tibétain, un coffret de senteurs que je m’étais procuré chez
l’Artisan Parfumeur. Ce dernier était fort intéressant. Dessus c’était écrit
Je me souviens. A l’intérieur huit flacons, recelant une odeur agréable ou
étrange, censée évoquer un souvenir. Sur chaque flacon, une étiquette bleue
avec un court intitulé, évoquant le contenu du flacon : Le baiser du Soir –
Fugue au Grenier – Au coin du feu – C’est la rentrée – Les grandes
vacances – Histoires de linges – Mon quatre heures – Premier âge. Je découpais
des bandelettes dans du papier cuisine absorbant que j’imprégnais du contenu
d’un des flacons. Je commençais toujours par une odeur agréable, comme Mon
Quatre Heures ou le Baiser du Soir. Je leur demandais de respirer, de s’éventer
avec dette lingette imprégnée, de fermer les yeux et de se concentrer très
fort. J’obtenais le silence, des chuchotements intrigués, émerveillés. Je
sentais monter une certaine émotion. Ils commençaient à évoquer ce qui même
pour de jeunes enfants était déjà des souvenirs perdus. Des paradis enfuis.