Consigne des minutes heureuses
Françoise Lefèvre, Le Rocher, Septembre 1998
Au bois de Vincennes, je vous expliquerai Françoise, pourquoi vous êtes « la
marchande de la boutique des minutes heureuses ». Je vous parlerai aussi de
celle que j’appelle Germaine dans mes livres et du parfum de la dame en
noir… Vous êtes une source. Vous m’aidez à vivre. Mais il est temps de ne
pas rater la dernière levée.
Tenderly.
André. »
Assise à la fenêtre ensoleillée de ma chambre sous les toits, j’étais
entrain de relire sa lettre. La lumière de cette fin de juillet dansait sur le
papier illuminant sa belle écriture bleu pervenche. Même à Paris on pouvait
entendre le chant des oiseaux. Et c’était le temps où des femmes ressemblant
à des gitanes chantaient dans les cours et sur les trottoirs des airs de Piaf.
Leur voix montait jusqu’au dernier étage vers lequel elles levaient les yeux,
attendant qu’on leur jetât une pièce de monnaie. C’est ainsi que
j’entendis Milord et me penchant pour mieux l’écouter, j’applaudis la
chanteuse dont la voix était aussi bouleversante que celle de Piaf que
j’adorais. Je lui lançai une pièce enveloppée dans du papier d’argent.
Pour me remercier, elle se mit à tourner sur elle-même en levant les bras. Vue
de ma fenêtre mansardée, sa robe de satin rouge tournoyante ressemblait à la
corolle d’un énorme coquelicot. Elle s’éloigna vers une autre rue en
chantant Padam ! Padam ! Padam !
Je souriais à cette journée lumineuse, je souriais en relisant la lettre d’André
Hardellet, à cause du mot source, qui m’embellissait, à cause de cette
phrase énigmatique faisant de moi « la marchande de la boutique des minutes
heureuses », phrase dont il allait enfin m’expliquer le sens tout à
l’heure. En pensant à notre rendez-vous, moi aussi, je me mis à chanter à
pleine voix : « Padam ! Padam ! Padam ! Il arrive en courant derrière moi !
Padam
! Padam ! Padam ! Il me fait le coup du souviens-toi…”.
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