Alma ou la chute des feuilles
Françoise Lefèvre, Le Rocher, Décembre 2002


Avant la naissance des enfants, avant leur conception, plus d’une fois la vieille cuisine fut un champ de bataille heureux pour l’amour fou. Tout se passait comme si les personnages d’un tableau, figés dans l’éternité d’un musée, retrouvaient enfin le pouvoir de s’animer. La laitière de Vermeer laisse tomber sa cruche, ouvre son corsage. Elle est nue sous sa jupe, ce ne sera rien de la retrousser. Elle en a relevé les pans qu’elle a passés sous les liens de son tablier. La cuisinière ronfle. Comme dans la chanson, la farine de froment vole dans la lumière où bourdonnent les guêpes attirées par les abricots trop mûrs. Sur la table, elle a renversé la farine pour faire une pâte brisée. Elle s’apprête à casser un œuf dans le puits qu’elle a formé. Son amant vient derrière elle, presse sa verge dure comme le buis entre ses fesses nues. Il lui mord la nuque, lui murmure les mots crus de l’amour, la lèche partout. Il lui dit ce qu’il veut lui faire. La baiser tandis qu’elle pétrit la pâte. Il lui demande de ne pas interrompre son ouvrage. Du bout des doigts, elle malaxe le beurre amolli dans le puits de farine. Elle y casse l’œuf, verse un peu de lait. Elle fait semblant de continuer à pétrir. Mais sous les coups répétés de la verge qui glisse entre ses reins, elle a fléchi les jambes et s’est arc-boutée contre la table. C’est ainsi qu’elle veut être prise. Elle se concentre sur ce qu’il lui fait, elle sait qu’elle traverse une des plus belles saisons de sa vie. Sous les assauts de son amant, la table tremble. Le lait tressaute et coule en ruisselets. Les abricots et les œufs roulent et s’écrasent sur les dalles.
P : 49 et 50

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